Mark Rutte : le bilan environnemental et énergétique de 13 années au pouvoir (3/4)
Le 7 juillet 2023, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a présenté sa démission. Cette décision découle d’une série de désaccords persistants au sein de la coalition gouvernementale, parmi lesquels figure, au premier rang, la politique d’asile. Couramment surnommé “Téflon” pour sa capacité de résilience politique, Mark Rutte se retire finalement après 13 longues années à la tête du gouvernement des Pays-Bas, record de longévité pour le pays. Quel bilan environnemental et énergétique tirer de son passage à la tête du gouvernement néerlandais ?
La condamnation du gouvernement Rutte
Les défis mondiaux contemporains intègrent désormais plusieurs concepts liés au développement durable. À l’échelle nationale, au sein d’un pays comme les Pays-Bas, la politique climatique est scrutée avec autant d’attention que la politique économique.
Lors de son ascension au pouvoir, Mark Rutte définit clairement ses objectifs environnementaux pour le pays. La Haye cible une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 17 % d’ici à 2020, par rapport aux niveaux de 1990.
En 2010, les Pays-Bas inaugurent le programme “EnergieSprong”. Cette initiative a pour objectif de massifier les rénovations thermiques des logements néerlandais à travers des partenariats de travaux à coûts réduits avec des acteurs industriels. Les bâtiments rénovés voient leur consommation d’énergie devenir nulle, assurant ainsi la rentabilité de l’investissement sur le long-terme. Fort de son succès aux Pays-Bas, le programme s’est rapidement exporté à travers l’Europe.
Cependant, la politique climatique néerlandaise ne fait pas l’unanimité. Une partie de l’opinion publique estime les objectifs insuffisants au regard des enjeux actuels. En 2013, l’organisation non-gouvernementale (ONG) environnementale Urgenda accompagnée de 900 citoyens néerlandais porte le sujet devant le Tribunal de La Haye. Le 24 juin 2015, le gouvernement néerlandais est condamné à rehausser les objectifs de réduction des GES du pays. Ainsi, la cible n’est plus une réduction de 17 % d’ici à 2020, par rapport aux niveaux de 1990, mais une réduction de 25 %. En 2018, le Tribunal de La Haye déboute l’appel du gouvernement néerlandais. Afin d’atteindre cet objectif, une nouvelle feuille de route environnementale est élaborée cette même année.
La nouvelle politique environnementale des Pays-Bas sous Mark Rutte
La mesure la plus radicale adoptée par le gouvernement Rutte concerne la réduction de la vitesse maximale sur les autoroutes. En effet, la limite de vitesse entre 6 heures et 19 heures est abaissée de 130 km/h à 100 km/h. Parallèlement, de nombreux chantiers susceptibles d’avoir des impacts environnementaux néfastes sont mis en suspens. Des initiatives sont également prises pour réduire significativement l’agriculture intensive néerlandaise et opérer une transition vers un modèle davantage durable.
En avril 2023, les Pays-Bas accélèrent en dévoilant un ambitieux plan de 28 milliards d’euros contre le dérèglement climatique. À travers 120 mesures, Mark Rutte et son gouvernement se donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs climatiques pour le pays. Le ministre du Climat et de l’Énergie, Rob Jetten, précise la finalité objectivée : « Nous œuvrons pour parvenir en 2050 à une économie circulaire neutre en carbone ».
Le plan met particulièrement l’accent sur le changement de modèle énergétique. Ainsi, les Pays-Bas prévoient de fermer les centrales électriques fonctionnant au gaz et au charbon d’ici à 2035. Le gouvernement Rutte envisage aussi de promouvoir la mobilité électrique en subventionnant l’achat de véhicules électriques d’occasion. Cette décision s’accompagne d’un investissement de La Haye dans l’accroissement du nombre de sites de recharge des batteries.
En août 2023, le Conseil d’État des Pays-Bas donne son feu vert au projet Porthos. Malgré une contestation judiciaire initiale, le gouvernement parvient à démontrer sa maîtrise des impacts environnementaux de la construction des infrastructures. Porthos vise à capter directement les émissions des sites industriels pour les transporter vers une réserve souterraine de CO2. Un réseau de tuyaux sous-marins sera utilisé afin de conduire les émissions du port de Rotterdam à un site de stockage situé sous la mer du Nord.
Quelle politique énergétique pour les Pays-Bas ?
Historiquement, le mix-énergétique néerlandais repose principalement sur le gaz naturel et le pétrole. En 2010, année de l’ascension au pouvoir de Mark Rutte, ces deux sources d’énergie cumulées représentaient 88,46 % de la consommation énergétique, selon Our World in Data. En 2022, elles constituent toujours 78,01 %. La consommation d’énergie provenant du gaz a notamment enregistré une baisse significative (-12,34 points) en l’espace de 12 ans. Pendant cette période, l’utilisation d’énergie décarbonée demeure marginale dans la consommation énergétique néerlandaise.
En 2022, le mix-énergétique de l’Union européenne (UE) se compose, également, majoritairement de gaz et de pétrole, mais dans des proportions légèrement moins importantes (59,29 % cumulées). Le nucléaire, porté par la France, représente un peu moins de 10 % de la consommation énergétique européenne.
Entre 2010 et 2022, les Pays-Bas observent une baisse de leur consommation totale d’énergie, passant de 1 170,65 TWh à 983,60 TWh.
À l’échelle nationale, Mark Rutte initie une transition progressive de la production électrique vers des sources décarbonées.
En 2010, le gaz naturel constitue 63,24 % de la production totale d’électricité néerlandaise. L’omniprésence de cette source d’énergie provient principalement de l’exploitation du plus grand gisement gazier d’Europe situé à Groningue. Après plusieurs années de réflexion, le gouvernement du premier ministre Mark Rutte décide de réduire progressivement ses capacités. Envisageant initialement une fermeture du gisement de Groningue pour 2030, ce dernier s’est finalement arrêté dès 2023.
En 2022, la part du gaz dans la production totale d’électricité néerlandaise ne s’élève plus qu’à 39,41 %. Néanmoins, la proportion d’électricité néerlandaise produite à partir de gaz naturel reste relativement élevée en comparaison des autres nations européennes.
Au cours de cette période, la production d’électricité à base de charbon se réduit également, passant de 18,97 % à 12,02 %.
En conséquence, la production d’électricité non émettrice de CO2 augmente. Tandis que le nucléaire est stable (environ 3 % de la production totale), les énergies renouvelables enregistrent une croissance significative. Ainsi, les Pays-Bas compensent le déclin du gaz par le renforcement de leur capacité éolienne et photovoltaïque. Lors de l’arrivée au pouvoir de Mark Rutte, l’énergie solaire ne représentait qu’une infime part de la production d’électricité néerlandaise (0,05 %). En 2022, elle pèse plus de 14 %. L’éolien constitue également 17,72 % de la production totale d’électricité néerlandaise, enregistrant une progression de 14,37 points en l’espace de 12 ans.
Malgré cette orientation stratégique, les capacités néerlandaises de production d’électricité n’augmentent que très légèrement sur la période. De plus, à l’instar de plusieurs nations, les Pays-Bas ont dû faire face à une hausse notable du prix de l’électricité depuis le début du conflit en Ukraine, en 2022.
Le développement des énergies décarbonées sous Mark Rutte
Afin d’accroître les capacités de production d’énergie décarbonée, les Pays-Bas doivent constamment développer de nouvelles sources d’énergie.
Tout d’abord, Mark Rutte et son gouvernement cherchent à considérablement accroître le recours à l’éolien en mer. Ainsi, ces dernières années, de nombreux projets d’envergure ont vu le jour à travers le pays.
En septembre 2023, le parc éolien en mer « Hollandse Kust Zuid », a par exemple été inauguré. Situé en mer du nord, le site dispose d’une capacité maximale d’1,5 GW.
Mark Rutte mise aussi sur le déploiement du photovoltaïque. Le gouvernement entreprend la construction de nombreux parcs solaires, y compris des installations flottantes. Divers projets alliant mobilité et énergie solaire voient ainsi le jour, tels que des pistes cyclables solaires innovantes. L’agriculture et l’industrie présentent encore un fort potentiel de développement de l’énergie solaire, avec l’intégration de panneaux photovoltaïques sur les toits.
Par ailleurs, le gouvernement Rutte aspire à davantage miser sur l’énergie nucléaire. Cette perspective bénéficie d’un large soutien au sein de l’opinion publique néerlandaise. Actuellement, les Pays-Bas ne disposent que d’une seule centrale nucléaire, en service depuis 1973. L’allongement de la durée de vie de la centrale de Borssele pour 20 années supplémentaires a précédemment été approuvé. L’unique centrale nucléaire du pays pourra rester opérationnelle pendant 80 ans, soit jusqu’en 2053.
Le renforcement des capacités nucléaires offre la possibilité aux Pays-Bas de consolider leur indépendance énergétique vis-à-vis des énergies fossiles. En 2022, la coalition gouvernementale du cabinet Rutte IV (VVD, D66, CDA, CU) annonce le projet de construire deux nouvelles centrales nucléaires, dotées d’une capacité maximale de 1600 mégawatts par réacteur, d’ici à 2035. La concrétisation du projet devrait significativement renforcer la part du nucléaire dans la production d’électricité néerlandaise.
Un ambitieux projet porté par l’entreprise Shell devrait également voir le jour en 2025. Holland Hydrogen I serait ainsi la plus grande usine d’hydrogène renouvelable d’Europe. Alimentée par le parc éolien en mer « Hollandse Kust Zuid », elle est conçue pour produire jusqu’à 60 000 kilogrammes d’hydrogène par jour.
En parallèle du développement des différentes sources d’énergie décarbonée aux Pays-Bas, le gouvernement déploie des programmes incitatifs destinés aux organisations. Succédant au programme SDE+ octroyant des subventions aux énergies renouvelables, SDE++ est étendue aux entreprises développant de nouvelles techniques de réduction des émissions de CO2. Afin de soutenir les projets sélectionnés, SDE++ dispose d’une enveloppe totale de 13 milliards d’euros.
L’agriculture néerlandaise dans le monde
Longtemps positionnés en tant que deuxième exportateur agroalimentaire mondial en valeur derrière les États-Unis, les Pays-Bas se voient dépasser en 2022 par le Brésil. Tout en conservant sa première place européenne, l’agriculture néerlandaise se classe désormais à la troisième place mondiale.
En 2022, les exportations agroalimentaires en valeur des Pays-Bas atteignent plus de 120 milliards d’euros. Un chiffre en hausse de 17,2 % par rapport à l’année précédente. Tandis que le volume des exportations néerlandaises a légèrement diminué sur la période, cette augmentation s’explique principalement par la répercussion de la hausse des coûts énergétiques sur le prix de vente. Dans le même temps, les exportations de produits agricoles (machines, matériaux, engrais, etc…) connaissent également une forte progression (+23 %), atteignant 13,4 milliards d’euros.
En raison de sa proximité géographique avec les Pays-Bas, l’UE représente une part prépondérante des exportations agroalimentaires du pays. En 2022, pas moins de 69,7 % des produits agroalimentaires néerlandais exportés sont à destination de l’UE. Les principaux partenaires agroalimentaires européens des Pays-Bas sont l’Allemagne, la Belgique et la France.
En 2022, les 120 milliards d’euros d’exportations agroalimentaires néerlandaises en valeur se composent à près de 28 % de seulement trois groupes de produits : les produits laitiers et œufs, l’horticulture et la viande.
Récemment, les produits laitiers et les œufs ont particulièrement progressé, passant de 8,8 milliards d’euros en 2021 à 11,9 milliards d’euros en 2022.
Depuis l’ascension au pouvoir de Mark Rutte en 2010, la contribution de la valeur ajoutée de l’agriculture néerlandaise dans le PIB n’a que faiblement évolué, passant de 1,8 % en 2010 à 1,5 % en 2022. Néanmoins, le modèle d’agriculture intensive des Pays-Bas est progressivement confronté aux multiples défis du développement durable. Une diminution plus substantielle n’est pas à exclure dans un avenir proche.
Quels sont les enjeux de la crise de l’azote aux Pays-Bas ?
Au fil des années, les Pays-Bas accroissent leur capacité agricole jusqu’à devenir le troisième exportateur agroalimentaire mondial en valeur. À travers d’importants investissements en recherche et développement, les Néerlandais améliorent considérablement plusieurs caractéristiques de leur agriculture. Ils se distinguent notamment par une agriculture aux besoins en eau nettement moins importants que les autres pays et la mise en œuvre de concepts novateurs tels que la ferme flottante de Rotterdam.
Cependant, le modèle d’agriculture intensive néerlandais entraîne également une hausse significative des émissions d’azote provenant de ce secteur. Bien que l’azote ne représente pas directement un danger, l’agriculture rejette des composés réactifs nocifs tels que l’ammoniac ou les nitrates.
En 2019, le Conseil d’État somme le gouvernement Rutte d’agir contre les émissions d’azote. Ainsi, tant que la situation environnementale ne sera pas considérablement améliorée, aucune nouvelle autorisation de construire ne pourra être accordée. À travers cette décision, le Conseil d’État souhaite notamment préserver les nombreuses zones Natura 2000 du pays.
Face à l’urgence de la situation, le cabinet Rutte IV élabore un plan azote visant à réduire de moitié les émissions d’azote d’ici à 2030. Pour atteindre cet objectif, une réduction de 30 % des cheptels semble inévitable, tout comme la fermeture de nombreuses exploitations. La Haye débloque une enveloppe de 25 milliards d’euros afin de soutenir l’application des mesures dans le secteur agricole.
Néanmoins, cette décision suscite de vives réactions chez les agriculteurs, principaux concernés par le plan azote. Ils développent un fort sentiment d’injustice, alimenté par le fait d’être les seuls à supporter les mesures gouvernementales drastiques pour une problématique connue depuis de nombreuses années. Conséquemment, les manifestations d’agriculteurs prennent de l’ampleur et s’étendent à l’échelle nationale. Mark Rutte et son gouvernement commencent à progressivement reconsidérer leur position.
Fondé en 2019 par Caroline van der Plas, le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB), d’orientation agrarienne, s’impose médiatiquement. Manifestation d’une frange de l’opinion publique néerlandaise soutenant les agriculteurs, il réalise de surprenantes performances politiques. À la suite des élections provinciales de 2023, le BBB devient le premier parti politique des États provinciaux aux Pays-Bas, recueillant près de 20 % des suffrages. Il devance le VVD de l’actuel Premier Ministre Mark Rutte, qui n’obtient que près de 11 % des voix.
Suite à une série de désaccords persistants au sein de la coalition gouvernementale, Mark Rutte démissionne de son poste de Premier Ministre des Pays-Bas le 17 juillet 2023. Alors que la crise de l’azote continue de diviser, l’issue de cette problématique dépendra probablement du successeur de Mark Rutte.